Un nouveau droit de l’eau est nécessaire

denis bonzy
4 min readMay 6, 2022

Depuis quelques semaines, il est beaucoup question d’un “nouveau droit de l’eau”. L’essentiel de l’actuel droit date de 1964. De nombreux changements sont intervenus depuis cette époque. Certes, des lois ont actualisé certains pans d’un texte de base remarquable. Il est peut-être temps de procéder à une refonte plus globale ?

De façon générale, l’écologie est née d’oppositions aux catastrophes supposées menacer la planète. Ce rapport conflictuel originel a contaminé bon nombre des textes régissant le domaine de l’environnement. En la matière, tout est en effet souvent conçu pour se préparer au pire entre des acteurs campant obligatoirement sur des positions diamétralement opposées.

La réalité est souvent différente de ce scénario. Bien davantage, cette même réalité a démontré à maintes reprises que la dramatisation est parfois mauvaise conseillère. A l’issue de périodes mouvementées, le domaine de l’environnement a besoin de s’installer dans un rythme plus calme, moins passionnel. Cette évolution plus rationnelle rappelle qu’il s’agit désormais d’assurer prioritairement une meilleure prise en considération du qualitatif. Une croissance plus douce, plus responsable qui intègre en permanence la notion d’héritage pour les prochaines générations. Il y a dans la notion d’héritage une idée de pérennité qui change la logique et le bilan de certaines décisions. Notre temps paraît être celui de l’allongement de l’espérance de vie humaine individuelle mais en même temps le raccourcissement de l’espérance de vie collective menacée par des catastrophes écologiques majeures dont le dérèglement climatique.

Les différentes lois qui sont intervenues en matière de gestion de l’eau ont souvent reposé sur des considérations éloignées de la réalité matérielle de la gestion de cette ressource naturelle fragile. Ce faisant, ces dispositifs ont mis en évidence des considérations qui ne correspondent pas ou peu à la réalité du terrain.

1ère considération : le choix du « toujours prévu ». Pour bon nombre de textes, l’imprévisible ne doit pas exister. Or, la nature (dont la météo) est faite d’imprévisible à moyen terme.

2ème considération : le parti pris du « toujours long ». Plus les parties s’engagent dans un processus long, compliqué, plus les actions seraient de qualité.

3ème considération : la préférence du « toujours pareil ». Si un dispositif se distingue des normes « générales», il porterait en lui une présomption de défauts.

Ces trois considérations sont à l’opposé de la réalité des exigences du terrain.

L’un des enjeux majeurs d’un éventuel nouveau droit de l’eau, c’est donner un sens aux mesures législatives en leur assignant des objectifs précis, concrets, simples.

Dans cet esprit, 4 objectifs sont prioritaires :

  • protéger la ressource en eau,
  • reconnaître une vraie place au contrat,
  • responsabiliser de façon claire tous les intervenants sans la moindre exception,
  • mobiliser tous les acteurs.

Dans le cadre de ces priorités, deux ruptures sont nécessaires par rapport au cadre légal actuel. D’une part, accepter une politique contractuelle basée sur le respect des réalités locales des territoires. La nature est inégale. Or, trop souvent, les dispositions légales ou règlementaires mettent en place un dispositif uniforme. L’uniformité ne permet pas de corriger les inégalités naturelles. A l’exception de la politique dite des milieux prioritaires particulièrement menacés, la sélectivité est difficile. Une Commune de montagne dont le cours d’eau est à débit constant sans le moindre rejet industriel est traitée comme une Commune de Haute-Provence où il faut chercher pendant l’été la moindre goutte d’eau dans une rivière qui subit d’importants rejets.

Pour être réellement efficace face à une nature par définition inégale, il faut accepter la sélectivité. Mais cette sélectivité est contraire à une grande partie de la culture administrative française. Cette sélectivité doit reposer essentiellement sur l’appréciation de la qualité du milieu naturel. Il importe donc d’identifier les paramètres de cette appréciation. Des premiers progrès ont été effectués en faveur d’une approche plus diversifiée. Mais cette acceptation de la diversité doit être considérablement renforcée.

D’autre part, identifier le choix d’un échelon territorial référent pour conduire une politique globale cohérente. Le Département paraît l’échelon territorial le mieux adapté. Il ne correspond pas nécessairement à la réalité des bassins versants mais il bénéficie du meilleur rapport identité-espace. La collectivité d’action doit être suffisamment proche pour générer le sentiment d’appartenance qui est l’effet de levier psychologique de bon nombre de mesures proposées. Les régions sont devenues trop vastes et sans racine historique lors de leur récente création. De même, les Agences de l’Eau doivent revenir à la conception initiale : des agences financières qui ont pour vocation de redistribuer le maximum de l’argent collecté par les redevances assises sur l’eau avec ce principe fondamental que “l’eau ne paye que l’eau” et donc les alléger de charges liées à d’autres sujets.

L’eau sera au coeur des défis climatiques sévères à venir. Pour éviter d’être dans l’obligation de réformes en pleine crise, il est temps en effet d’élaborer un nouveau droit de l’eau.

Denis Bonzy

Ancien Président du Conseil d’Administration de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse

--

--

denis bonzy

Entrepreneur. Centres d’intérêts : #Innovation #Investor #FinTech #Environnement #Boston